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Citoyenneté de la différence

Citoyenneté de la différence

Le documentaire de Amandine Gay, “Ouvrir La Voix”, m’a dérangé. Et c’est une bonne chose.

Il y a quelques temps, j’ai été voir ”Ouvrir La Voix”, un documentaire réalisé par Amandine Gay.

Le film présente des témoignages de femmes noires, donnant ainsi une palette de points de vue sur cette condition, doublement minoritaire, d’être à la fois “femme” et “noire”, en occident. De ce que j’ai pu constater, le film va à la rencontre de femmes en France, en Belgique et au Canada.

Le film est sorti il y bientôt un an, cependant il continue d’être projeté en salle avec souvent, une séance de questions-réponses avec la réalisatrice.

Les expériences de vie des femmes dans le film disent beaucoup de la condition noire, mais aussi du regard que les sociétés ou communautés noires portent sur les femmes, les lesbiennes, la diaspora. C’est d’ailleurs généralement ce qui ressort des critiques de la presse à propos du film.

Pour ma part c’est le choix esthétique du film qui m’a le plus dérangé. Oui le film m’a dérangé et j’en suis très heureux, parce que c’est bien ce que j’en espérais. Après avoir vu ce film, il m’a fallu re-ranger, ré-organiser, ré-évaluer ce que je croyais savoir, en particulier sur moi-même.

Je suis un privilégié.

Je suis un homme dans un monde d’hommes et ça, je le savais déjà. Mais le film m’a révélé, à quel point je vis dans une bulle cependant, quand il s’agit de la sexualité. Si tu es noir.e et que dans ton entourage, personne ne pense à mal des queers, des homosexuel.le.s, des transsexuel.le.s, alors, tout comme moi, tu vis dans une bulle. De cette souffrance je ne connaissais rien, je me suis tu et j’ai écouté.

Je suis un noir de Guadeloupe, je ne suis pas minoritaire dans mon propre pays. Ces femmes sont noires dans un pays tellement blanc, que les gens qui y vivent ne se voient pas eux-mêmes comme blancs. L’ampleur du #sparadrapgate montre l’immensité du fossé qui empêche toute empathie. Je me suis rappelé une de mes amies guadeloupéenne d’origine indienne, invectivée dans les rues de Paris par des hommes pakistanais qui lui parlent dans une langue qu’elle ne comprend pas. Ou de ce collègue d’origine siro-libanaise qui m’a raconté comment on lui a refusé un flyer pour une soirée antillaise à Toulouse, la violence symbolique de ce déni, la douleur profonde qui en résulte. De cette douleur je connaissais peu, je me suis tu et j’ai écouté.

Ouvrir les yeux

J’ai donc écouté, et pour mieux écouter j’ai cessé de regarder. Et c’est là ou l’expérience de ce film m’a le plus dérangé. Pendant un moment, j’ai donc cessé de regarder les images. J’ai écouté les yeux fermés les propos de ces femmes et, honnêtement, je me suis dis ”j’ai l’impression que s’en est même mieux, je n’ai pas l’impression que les images rajoutent à l’expérience du film”. Curieux. J’ai rouvert les yeux pour constater que la plupart des plans du film sont les mêmes : plan serré sur le visage de femmes noires. Très curieux.

Mais Amandine Gay, n’est pas une écervelée naive. Le film n’est pas construit au petit-bonheur la chance, ces plans, ce choix esthétique n’ont pas été laissé au hasard. Elle a pensé son documentaire. C’est en écoutant Amandine Gay expliquer ce choix esthétique que j’ai pris conscience d’un privilège dont je n’avais pas du tout conscience jusque là.

Contrairement à ces femmes, contrairement aux femmes noires qui sont, et seront dans les salles en train de regarder ce film, contrairement à ces personnes, noir.e.s, né.e.s en France, j’ai eu le luxe d’avoir une identité avant d’être assigné à ma couleur de peau. La première fois où le monde m’a crié que je suis noir, j’avais 18 ans. Contrairement à ces femmes, j’ai grandi dans une France ou la grande majorité des français et des françaises sont des noir.e.s. Voir majoritairement des visages de femmes et d’hommes noires a été mon ordinaire pendant toute ma jeunesse.

J’ai eu la chance de traverser les tribulations de l’adolescence, sans avoir en plus à subir celle d’une conscience noire, ou d’une identité noire. Une adolescence de garçon : c’est à dire, sans la violence des regards concupiscents sur des formes apparues sans crier gare.

Ces images sont donc aussi une ressource pour celles qui ont besoin de voir la diversité d’être femme et noire en occident : les adolescent.e.s noir.e.s en occident.

Ouvrir la voix est disponible en DVD depuis le 12 septembre.

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